PERSONNES SEROPOSITIVES OU MALADES DU SIDA DANS LE MONDE DU TRAVAIL
1. INTRODUCTION
Par cet exposé, nous voulons donner des informations médicales et concernant les conséquences possibles liées au VIH, en fonction des situations professionnelles rencontrées au cours d’une carrière ou pour des professions particulières.
Nous présenterons nos réflexions afin que les personnes séropositives ou malades du Sida qui désirent parler de leur santé puissent le faire en toute connaissance des répercussions possibles pour leur carrière, en fonction de leurs interlocuteurs.
1.1. Etat des lieux de l’infection par le VIH en France
Depuis 2008, entre 7000 et 8000 personnes ont découvert leur séropositivité chaque année en France.
Ces contaminations sont dues pour la plupart à un contact sexuel ; 1 % concernent les usagers de drogues par voie intra veineuse.
Ce chiffre est stable par rapport à 2007 mais ils y a une tendance à la hausse chez les plus jeunes. Ce sont principalement les régions IDF, PACA et les DOM d’Amérique qui sont touchés.
Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) restent la population la plus touchée par de nouvelles infections (43%), devant les femmes hétérosexuelles nées à l’étranger (23%), les hommes hétérosexuels nés à l’étranger (15%), et les hommes hétérosexuels (10%) et femmes hétérosexuelles (8%° né/es en France.
Pour plus d’informations :
http://www.invs.sante.fr/presse/2009/communiques/incidence_vih191109/incidence_vih.pdf
http://www.invs.sante.fr/beh/2014/32-33/pdf/2014_32-33.pdf
http://vih.org/20141201/chiffres-2014-decouvertes-seropositivite-en-france/69314
1.2. Entreprises publiques et privées
Il est indispensable de faire la différence entre le service public et les entreprises privées qui ne possèdent pas le même niveau de protection sociale en matière d’assurance maladie et pas la même législation du travail, notamment les formalités d’embauche (passage auprès des médecines d’expertise et de santé au travail), les ruptures du contrat de travail, les licenciements...
Les décisions d’inaptitude à la fonction publique et au poste de travail ne relèvent pas des mêmes praticiens, les conséquences sont différentes pour les licenciements, reclassements, mises en invalidité, reconnaissances du handicap…
Les instances paritaires traitant de l’hygiène et de la sécurité sont différentes :
- Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans le privé et
- Comité technique paritaire (CTP) dans le service public.
Leurs pouvoirs sont différents.
Pour plus d’informations :
http://www.ast67.org/media/documents/dossiers/medecine/fonction-publique.pdf
2. CONSEQUENCES SOCIALES EN FONCTION DES SITUATIONS MEDICALES
2.1. Sérologie HIV positive sans signe clinique
Deux à six semaines après la contamination, la primo infection peut s’accompagner de symptômes non spécifiques : fièvre, douleurs articulaires et musculaires, troubles de la digestion, adénopathies (ganglions lymphatiques inflammatoires), ulcérations bucco-génitales ; plus rarement des symptômes neurologiques. Dans tous les cas, ces symptômes disparaissent en quelques semaines, le temps d’un arrêt maladie ordinaire.
2.2. Une phase chronique suit
C’est une phase cliniquement latente : on ne « voit pas » et on ne « ressent pas » la maladie, sauf pour 20 % des patients qui présentent des adénopathies. En revanche, le virus est actif biologiquement : réplication virale et modification de la formule sanguine.
Avant le stade Sida, alors qu’il y a beaucoup de virus dans le sang et de moins en moins de lymphocytes CD4, des manifestations visibles peuvent survenir : maladies de peau (dermite, mycose, folliculite, verrues, zona) ainsi qu’une altération de l’état général (fièvre, sueurs, diarrhée, amaigrissement).
Ces manifestations physiques peuvent être visibles par les collègues de travail. Une fatigabilité avec un absentéisme troublent alors le travail.
2.3. Sida
Les répercussions décrites plus haut augmentent en fréquence et en intensité. Heureusement, les traitements permettent une nette amélioration. Mais ils doivent être pris régulièrement, emportés avec soi lors des déplacements, souvent montrés avec une ordonnance à la police des frontières avant l’embarquement pour un voyage.
Ils sont à l’origine d’effets indésirables visibles.
L’absentéisme augmente du fait de la maladie mais aussi des rendez-vous à prendre pour les consultations et les examens complémentaires.
3. IMPACTS SUR CERTAINES SITUATIONS PROFESSIONNELLES
On identifie 4 principaux types de situations professionnelles où la sérologie et/ou la maladie peuvent entrainer des conséquences au travail.
3.1. Salarié·e ou agent sédentaire VIH +
Situation médicale : découverte de sa séropositivité, périodes de forte fatigue, de dépression avec une anxiété réactionnelle.
Impacts possibles : absentéisme croissant, performance en baisse, difficultés à se concentrer au travail.
Réactions possibles :
- Ne rien dire ni à son management, ni à ses collègues ?
- Comment gérer les interrogations face au silence ?
- Comment gérer son sentiment de déloyauté vis-à-vis de l’entreprise ?
Aucune réponse n’est indiquée. Il faut réagir en fonction de ses possibilités à assumer son choix d’en parler à autrui et en particulier au sein de son entreprise.
3.2. Salarié·e ou agent sédentaire atteint du Sida maladie
Situation médicale : traitement pouvant entraîner des effets secondaires visibles : changements physiques, fatigue importante…
Impacts possibles : absences quotidiennes de courte durée pour les prises discrètes des médicaments ou aller aux toilettes ; absences perlées sur plusieurs semaines.
Réactions possibles :
- Il sera de plus en plus difficile de ne rien dire ni à sa hiérarchie, ni à ses collègues.
- Inventer une autre maladie ? C’est possible mais c’est faire le choix de vivre dans le mensonge avec les complications quotidiennes qui en découlent.
Dans tous les cas, il convient de se mettre en arrêt de travail si on est incapable de faire son travail correctement pour une courte durée. Si la maladie a des répercussions durables sur les performances, il faudra sûrement demander un aménagement des horaires et/ou du poste de travail auprès de son médecin du travail.
3.3. Salarié·e ou agent en mission de courte durée à l’étranger
Situation médicale : séropositif-ve, traitement en cours avec médicaments non disponibles dans le pays de déplacement.
Impacts possibles : la réglementation de certains pays demande une sérologie des personnes à leur arrivée et leur permet de pouvoir refuser l’accès de leur territoire aux personnes séropositives. Toutefois cette sérologie n’est exigée que pour des séjours longs dont la durée varie selon les pays.
Réactions possibles :
Il est difficile de produire un faux certificat de séro négativité, de cacher ses médicaments dans les bagages (attention aux contrôles douaniers), dangereux de les acheter dans certains pays (contrefaçon), difficile d’expliquer à son employeur l’impossibilité de se rendre dans certains pays.
3.4. Profil salarié·e ou agent en expatriation longue (proposée ou imposée par l’entreprise)
Il faut se renseigner sur la politique vis-à-vis des malades en général et des personnes VIH + en particulier, dans les pays où on va se rendre professionnellement. Ceci avant d’accepter la mission. Et ce n’est pas parce que certains pays sont réputés pour leur « tolérance » que les autorités ne pratiquent pas de discrimination sur l’état de santé.
On peut se renseigner sur le site internet du Ministère des Affaires Etrangères ou auprès d’un service de conseils aux voyageurs dans les hôpitaux universitaires.
Pour plus d’information :
http://www.ilo.org/aids/legislation/lang--fr/index.htm
4. PROFESSIONS PARTICULIERES
4.1. Personnel hospitalier
Les séropositifs-ves soignants peuvent contaminer des malades ou leurs collègues de travail au cours de soins. Ils doivent particulièrement respecter les principes d’hygiène et de sécurité sanitaire. En fonction des risques, il faudra informer leur médecin du travail qui proposera un aménagement de poste en fonction du degré de la maladie.
La situation de médecin du travail est très difficile car, selon la législation, pour être apte à un poste de travail, il faut que ce dernier n’altère pas la santé du salarié et / ou que le salarié n’altère pas la santé des collègues de travail. Devant cette définition, on s’aperçoit que la notion de « client », c’est à dire le malade soigné par une personne VIH +, n’entre pas en jeu dans la décision finale. Et pourtant, il est très difficile pour un médecin, même du travail, de faire abstraction du risque de contamination du soignant au soigné.
4.2. Personnels navigants commerciaux et techniques
En Europe, lors de l’embauche des personnels navigants commerciaux et techniques, le médecin agréé de l’aviation civile exigera la réalisation d’une sérologie VIH. Cette disposition est inscrite dans la réglementation de l’aviation civile.
En cas de séropositivité à l’embauche, la personne est déclarée inapte, car il existe un trop grand risque de développer une infection opportuniste pouvant induire une incapacité subite en vol.
En cas de séroconversion après l’embauche, l’aptitude est donnée au cas par cas en fonction de l’état clinique.
Ces personnels sont soumis à deux types de visites médicales : une consultation pour vérifier l’aptitude aux emplois de l’aviation civile (par un médecin expert) et une consultation de médecin du travail pour délivrer l’aptitude au poste de travail.
4.3. Personnel des armées
Certaines forces armées demandent une sérologie VIH lors de l’incorporation. Cela ne se fait pas en en France. L’Armée Française respecte le Code du Travail.
Les pilotes de l’Armée sont soumis à la même règlementation des personnels navigants techniques, donc à l’obligation de dépistage.
5. DIRE OU NE PAS DIRE SON STATUT ET A QUELS INTERLOCUTEURS DANS SON ENVIRONNEMENT PROFESSIONNEL ?
La question de la visibilité de sa maladie reste un droit élémentaire d’une personne : elle seule décide de dire ou non, à qui elle le souhaite et, le cas échéant, quand le moment est le plus approprié.
Néanmoins, nous avons souhaité lister les principaux interlocuteurs de l’entreprise pour éventuellement adapter sa posture aux professionnels identifiés.
5.1. Au recruteur / à l’équipe Ressources Humaines
Nous rappelons que, conformément au Code du Travail, l’état de santé n’est pas un élément de recrutement sauf professions particulières et inaptitude médicale au poste de travail.
Certaines directions des ressources humaines (DRH) ont lancé des campagnes de sensibilisation et de formation, afin de prendre en compte cette maladie. Mais c’est souvent dans de très grandes entreprises ciblées. La plupart des équipes de recrutement ne sont pas spécialement formées pour recevoir le message d’une révélation de cette maladie : incompréhensions et peurs peuvent entraîner le rejet de la candidature.
Nous recommandons donc de ne pas dévoiler son état de santé lors du processus de recrutement.
Lors de la signature d’un contrat de travail, il est parfois demandé un justificatif d’affiliation à la Sécurité Sociale. Certains documents fournis par cette administration comportent le fait que le futur salarié bénéficie d’une affection longue durée (ALD), ce qui est le cas des affections liées au VIH. Il convient de demander un document ne faisant pas mention de cet état. C’est possible mais souvent après beaucoup d’explications données auprès de votre caisse d’assurance maladie.
Il ne faut jamais donner sa carte Vitale à une personne de l’entreprise ayant un lecteur car l’affiliation à l’ALD est alors visible automatiquement.
Lors du rattachement à une mutuelle, celle-ci n’a pas à communiquer le statut d’ALD à l’employeur, ce serait une faute professionnelle.
Si un malade du Sida a fait une demande de reconnaissance de travailleur handicapé à la Maison Départementale du Handicap (MDH), il n’est pas obligé d’en informer son employeur. Libre à lui de lui dire ou non s’il est un travailleur handicapé et pourquoi. Il n’existe pas de transmission d’information systématique entre la MDH et l’employeur.
5.2. Aux Médecins :
5.2.1. Le médecin agréé de la Fonction Publique
Pour devenir titulaire de la Fonction Publique (hospitalière, territoriale et de l’Etat), un agent doit produire une attestation de non atteinte à une maladie incompatible avec la fonction postulée. Par le passé, le futur titulaire ne devait pas avoir une maladie pouvant donner droit à un congé longue durée (le Sida en est une). C’est n’est plus le cas actuellement.
C’est le médecin agréé de la Fonction Publique (qui n’est pas un médecin du travail) qui établit ce certificat. Le plus souvent, il ne demande pas de sérologie et signe cette attestation après un entretien et un examen clinique simple. Il n’apprend l’état sérologique de la personne que si elle l’en informe. Il est donc conseillé de ne rien dévoiler sur son statut sérologique si rien n’est demandé.
Attention, certaines maladies évolutives, comme le Sida, peuvent être jugées incompatibles avec certaines fonctions comme par exemple les métiers de soins et de secours.
5.2.2. Le médecin agréé pour l’aéronautique
Une sérologie sera exigée. Le candidat ne peut et ne doit rien cacher.
5.2.3. Le médecin du travail
Sa consultation est obligatoire lors de l’embauche, lors des visites périodiques, lors des visites de reprise après un arrêt maladie de plus d’un mois ou sur demande de l’employeur.
En cas de séropositivité simple n’ayant aucune répercussion sur le travail, il n’est pas nécessaire de dévoiler son statut sérologique.
Mais s’il existe des conséquences au travail, le médecin pourra proposer à l’employeur un aménagement du poste de travail : allégement de la charge de travail, des horaires... Dans ce cas, il est donc conseillé d’en parler avec lui.
Pour bien comprendre la différence entre un médecin agréé et un médecin du travail ; le premier pourra refuser une aptitude à la fonction d’infirmière séro positive au prétexte qu’elle pourrait contaminer un patient alors que le médecin du travail pourra la juger apte au poste d’infirmière dans un service où les risques de contaminations sont quasi inexistants pour ses collègues de travail.
A noter que tous ces médecins sont soumis au secret médical. Aucun d’eux ne peut révéler à qui que ce soit le statut sérologique du salarié qu’il voit en consultation. Le seul échange qui existe avec l’employeur, c’est l’avis d’aptitude, sans diagnostic médical.
Par ailleurs, aucune sérologie ne peut être réalisée sans l’accord du salarié. Sinon, cela serait une faute professionnelle.
5.3. A sa hiérarchie
Malgré le nombre de plus en plus important d’entreprises signataires de charte de non discrimination (dont celle liée à la maladie), la réalité du terrain, notamment auprès du management de proximité, se situe encore loin des textes affichés.
Peur de la marginalisation dans son travail, de l’exclusion voire du licenciement sont des raisons de ne rien dire à son manager.
Les efforts déployés pour gommer la baisse des performances sont à prendre en compte dans cette stratégie de garder le secret.
5.4. A ses collègues
Les personnes séropositives informent souvent en premier lieu leurs collègues de travail au cours d’une conversation. Mais attention, de nombreux cas de discrimination en entreprises viennent des collègues.
Maladie taboue, moins noble que d’autres, les mots VIH et SIDA renvoient à des peurs et des représentations sulfureuses. La stigmatisation peut alors prendre place.
5.5. Aux instances représentatives du personnel (délégué du personnel, syndical,…)
Les syndicats signent souvent les accords d’entreprise sur la non discrimination.
Les discours des grandes confédérations sont unanimes pour condamner toute forme de discrimination mais ces bons sentiments n’entrent pas dans tous les esprits de la base.
Certains syndicalistes peuvent parfois être eux même à l’origine de la discrimination.
Nous conseillons tout de même de les faire intervenir s’il existe une discrimination.
En revanche, il ne faut pas dévoiler son état se santé s’il n’y pas de problème, car un syndicaliste n’est pas soumis au secret professionnel.
6. CONCLUSION
Après avoir reçu toutes ces informations, une personne séropositive ou malade du Sida pourra faire le choix de parler ou non de son affection au sein de son entreprise. Peut être pas à tous, mais aux bonnes personnes qui l’aideront à se sentir bien au travail.
Il est important de bien connaître la politique de santé au travail de son entreprise (respect des avis médicaux, reclassements des accidentés de la vie et du travail, acceptations de personnes handicapées) mais aussi celle de l’égalité hommes / femmes et de la lutte contre les discriminations.
Alors on pourra prendre la décision de parler sa maladie au travail.
Fiche pratique L'Autre Cercle rédigée en 2010 par Sylvain P., médecin du travail et Eric D., DRH ; actualisation en 2015 par Sylvain P